Lettre
De : Marie-Madeleine Beslais, en vacances à Sainte-Radegonde
À : ses parents à Paris
Date : sans doute en 1925 parce qu’elle parle de leur emménagement
Cher papa, cher maman.
Je vais vous écrire de nouveau parce que nous venons juste aujourd’hui mercredi de recevoir votre lettre. Nous avons reçu cet après-midi la glace et la batterie de cuisine. Mémère [sa grand-mère] a payé à Bouvet une somme plutôt minime parce que ça avait été envoyé en petite vitesse. La glace n’est pas encore déballée et nous attendons la venue de pépère pour qu’il la défasse. Mémère dit que c’était pas la peine de s’inquiéter pour ça. Elle est très contente que vous soyez emménagés et elle a relu au moins cinq fois la lettre.
Pépère nous conduira dimanche matin toujours à 8h43. Il est très content que ce soit ce jour-là car ça l’arrange beaucoup mieux. Malgré qu’on est bien privés de vous, on se résignera à attendre encore trois jours.
Hier soir nous avons fêté l’épiphanie. Mémère a acheté un gâteau des rois exprès sur l’avenue de Gramont où il y avait dessiné une belle fleur. Dedans il y avait une fève et un petit roi en porcelaine. Nous avons fait des couronnes en papier jaune et nous nous sommes bien amusés. La reine c’était moi (fève) et Pat (petit roi). Aussitôt qu’on buvait, mémère et pépère qui avaient retrouvé leurs seize ans criaient :
La reine boit, la reine boit
Et quand elle aura bu
Elle n’aura plus soif
Et on trinquait.
Mais voilà une ombre à l’histoire. Mame Fline [Marguerite] était d’une colère folle de ne pas être reine, Mémère avait beau lui dire que quand on avait rien on était roi et qu’un roi était plus puissant qu’une reine, elle continuait à piailler. Alors mémère a déniché un vieux petit coq en porcelaine qu’elle avait gagné dans une ancienne fête des rois et elle l’a mis dans un morceau de gâteau qui restait. Elle l’a fait manger à Mame Fline dont la colère s’est calmée en s’apercevant. Et maintenant elle est sûre qu’elle est roi puisqu’elle a eu un coq. Mais elle nous a griffééééééééééééééééy! Après mémère a chanté plein de vieilles romances qui sont très naïves, très douces et très jolies. Elle chante très bien mémère et on s’est couchées à 10 heures ½.
Il fait bien froid à Tours et nous n’avons pas été nous promener, nous avons joué à l’oracle et attendez je vais vous faire rire.
Mame Fline avait demandé si elle serait riche. L’oracle a répondu «Ta seule et grande richesse sera ta merveilleuse vertu». Vous pensez si on a ri. Et la Fline était toute fière d’avoir une merveilleuse vertu.
En ce moment elle dort sur la table parce qu’elle avait été agitée hier soir et qu’elle n’a pas bien dormi.
À dimanche donc !
Je vous embrasse de tout mon cœur et je vous en rends 1000 kilos de baisers des 100 que vous aviez donnés.
Je suis bien contente qu’on ait un appartement à nous, un lit à nous, enfin tout à nous, je crois que je ne vais pas en dormir de la nuit de joie et je vous embrasse de nouveau pour que ça fasse 1001.
M M Beslais