Henri Beslais fils

Photos

Parents : Henri, Catherine

Épouse : Jeanne Châtillon

Enfants : Georges, Maurice


Général

Naissance : 16 juillet 1874 à Tours

Mariage : 8 avril 1899 à Constantine (24 ans)

Décès : 1945 (71 ans)

Profession : professeur de lycée

Prénoms : Henri Constant François


Histoire

Il fait de brillantes études, surtout en langues vivantes, et décroche l’École normale supérieure. Par un travail acharné il se forge une belle érudition mais a du mal à mettre en valeur ses grandes connaissances.

Il est le fils aîné de sa famille. Son père a interrompu ses études et sa mère n’en a pas fait, tous deux doivent le pousser à travailler à l’école. Ils ont peu de moyens, il doit faire tout son lycée sans manteau. Mais il est doué et s’en sort avec tous les succès, il est même lauréat au Concours général.

Une fois entré à l’École normale il passe avec succès l’agrégation d’allemand. Il échoue à celle d’italien, après avoir été admissible deux fois.

Henri devient professeur de lycée et le reste jusqu’à sa retraite, ce qui est à l’époque le parcours usuel d’un normalien. Il passe par Constantine, Châteauroux, Le Havre, Toulouse, puis est enfin nommé à Paris.

Avec Jeanne, ils ont deux fils. Le cadet meurt de la grippe espagnole pendant la guerre.

De manière générale il a une incompatibilité d’humeur avec sa femme, qui n’est pas aussi éduquée que lui.


Tentatives d’écriture

Il tente d’écrire, sans obtenir un succès significatif. Il faut dire qu’il a des goûts raffinés et quelque peu désuets. Voici ses œuvres qui ont été éditées :

- La Légende de Perceval le Gallois (1904), poème épique en alexandrins. En voici les premiers vers :

Lorsqu’aux mornes lueurs des torches presque éteintes

Mourut le dernier glas des hymnes et des plaintes

Et que, dans le silence des voûtes en deuil,

On eut scellé la tombe et muré le cercueil,

Où le roi de Norgals dormait son dernier somme,

Sa veuve Herselot, blême et vacillante comme

Un roseau qu’a tordu l’aigre brise du soir,

Franchit d’un pied mal sûr le seuil de son manoir,

Et refusant l’appui des serves accourues,

Ivre de sa douleur à chaque pas accrue

Par l’acier d’une dague où l’éclat d’un pennon,

Longuement elle erra dans le vaste donjon,

Demeure que la joie achevée en détresse

Ferait sourde à présent aux jeunes allégresses

Des buccines de gloire et des harpes d’amour !

- La Mort du duc Galéas (1905), drame en quatre actes en prose. L’action se passe à Milan à la fin du XVe siècle.

- La Reine Galante (1906), drame en cinq actes et sept tableaux en vers. L’action se passe à Edimbourg et Carberry-Hill, sous Marie Stuart.


Divers

Voici ce qu’en dit Aristide Beslais, son frère cadet :

Mon frère avait des dons intellectuels exceptionnels, qui s’étaient révélés dès la plus tendre enfance. Et c’étaient des dons réels, non pas cette apparence d’intelligence qui fait illusion et où la mémoire tient plus de place que le jugement. Non, il était brillant, séduisant par son esprit autant que par l’étendue et la solidité de son savoir. Nous l’admirions tous, et il le méritait. J’ai rencontré, au cours de ma carrière, des hommes qui l’avaient connu mieux que je ne pouvais moi-même le connaître, à une époque où j’étais encore un enfant, lorsqu’il régnait sur sa promotion de Normaliens par sa fantaisie et sa verve. Je ne saurais oublier ce que m’a dit un jour de lui l’Inspecteur général Luchaire, qui avait été son camarade à l’école, en pleine effervescence dreyfusarde, quand toute cette jeunesse intellectuelle bouillonnait d’une généreuse ardeur. Ce témoignage ne m’avait pas surpris. Car je savais bien que, malgré ce cynisme intellectuel qu’on retrouve à chaque génération sous des formes diverses, Henri s’était enflammé pour la bonne cause au point d’avoir été choisi par ses camarades pour donner des leçons d’allemand aux enfants de Dreyfus, qui était encore à l’île du Diable.

J’avais même été témoin, certain jour, d’une terrible algarade entre le vieux révolutionnaire qu’était mon père et ce «jeune intellectuel en colère». C’était au début de l’Affaire et mon père s’en tenait à la position initiale de l’extrême-gauche qui n’y voyait qu’une querelle entre bourgeois où la classe ouvrière n’avait pas à intervenir. Mon frère au contraire rapportait à la maison l’atmosphère surchauffée du Quartier latin. La bagarre avait été tellement violente que la lampe en fut renversée et que les adversaires ne se mirent d’accord que pour éteindre le pétrole en flamme. Cette scène me rappelle un dessin de l’époque, montrant un appartement dévasté, avec cette légende : «Ils en ont parlé».

La nomination d’Henri à Constantine, son mariage, la naissance de Georges et la mort de ma mère qui fut peut-être, en quelque manière, liée à ces événements, vous savez tout cela.

***

Bien des années avaient passé : un quart de siècle, et quel quart de siècle ! mes années de lycée et d’adolescence, mon mariage, la guerre ! Vous connaissez notre comportement, à votre mère et moi, pendant cette période. Et Henri ? Il avait bien changé. Le jeune homme enthousiaste de naguère était devenu un homme amer, désabusé. On était loin de la flambée du dreyfusisme ! Il n’était pas très heureux, ses tentatives littéraires n’avaient pas eu d’écho, il s’enlisait dans une vie familiale sans joie, du moins nous donnait-elle cette impression.

Autre passage :

C’est en 1924 que nous devînmes parisiens. Alors s’établissent entre leur famille [la famille d’Henri] et la nôtre des liens nouveaux dont vous avez été les témoins. C’est à cette époque que vous avez fait leur connaissance, et je peux dire que moi-même, c’est à partir de ce moment que je connus vraiment mon frère. Le fossé qu’avait creusé entre nous notre différence d’âge était désormais comblé, car un homme de cinquante ans et un homme de trente-six, tels que nous étions alors, sont vraiment au même niveau. Cette période a duré quinze ans.

Puis la Seconde guerre mondiale nous a de nouveau séparés. Henri avait quitté Paris pour fuir l’occupation, pour chercher auprès de Valentine [sa sœur] des conditions de vie moins aléatoires. D’autant plus que l’infirmité de Jeanne la rendait alors pratiquement impotente. Il y est mort, comme vous le savez, quelques mois après le retour de la paix, au terme d’une bien triste vieillesse.

Pendant nos quinze années de cohabitation à Paris, nous avions entretenu des rapports d’autant plus étroits que toute la famille s’y trouvait réunie, Valentine comprise. Sur cette période je n’ai rien à vous apprendre. Au contraire : cas vous avez une mémoire plus fidèle que la mienne et c’est vous souvent qui réveillez mes souvenirs. Mais encore une fois, en me reportant à ce passé, je tue le temps et meuble ma solitude.

Nous nous retrouvions presque tous les dimanches chez l’un ou chez l’autre, le plus souvent autour d’une table de bridge. Car si Valentine était totalement étrangère à la pratique des cartes, «Tante Jeanne» était terriblement joueuse, sans avoir jamais, malgré son intelligence incontestable, rien compris à ce jeu. Quant à Henri je doute qu’il y ait pris le moindre amusement. Il faisait avec résignation l’indispensable quatrième.

Il préférait d’autres plaisirs. Grand liseur et grand érudit, remarquablement doué pour les langues vivantes, il avait appris sans maître l’anglais et l’espagnol, qu’il lisait couramment, l’italien, qu’il savait assez pour avoir été dans cette spécialité deux fois admissibles à l’agrégation, il s’intéressait à tout ce qui n’était pas de la «Science». Il s’était cru écrivain et poète, non sans raisons. Dépourvu de tout pédantisme d’aucune sorte, il ne faisait jamais étalage de ses talents et de son érudition : il avait vraiment bien des qualités.

Nous étions devenus très bons amis. Il nous arrivait de temps en temps, un dimanche ou un jeudi matin, de sortir tous les deux ensemble. Il retrouvait alors sa verve, son humour, sa jeunesse. Tandis que j’écris ces lignes, des souvenirs me reviennent : ce beau matin de Noël, glacial et ensoleillé, où, attendant l’heure de la dinde traditionnelle, nous étions partis dans Paris, heureux d’être ensemble. Ou bien nos flâneries le long des quais, et nos découvertes dans les boîtes à bouquins… Dans ma solitude présente, le souvenir de mon frère a retrouvé en moi sa juste place. Il n’a pas été un homme heureux pour bien des raisons. Il avait conscience de son relatif échec, mais trop de dignité pour en laisser rien paraître… Pauvre Henri !