Lettre

De : Marguerite Beslais, à Cahors

À : ses parents à Paris

Date : inconnue

Ma mémé adorée, mon peya aimé, mon papa maman,

je vous écris rapidement ce soir avant d’aller dîner. Aujourd’hui j’ai reçu un télégramme de Rylouis m’annonçant son arrivée dimanche matin. Il doit avoir des raisons pour venir si tard. Je l’attends. Ce matin j’ai rendu des compositions françaises en présence de la directrice, ça n’a pas mal marché. Je me repose là. Je vais ce soir au cinéma voir La Rabouilleuse avec Fernand Gravey. Et avec P. Castet et une de ses amis. Hier soir j’ai été bien heureuse de parler à ma petite mémé, que j’aime tant. Cette après-midi, Mme Niel a fait rentrer mes pommes de terre (100 kgs).

Je pense que je pourrais vous en apporter à Noël. Je pense à vous constamment. Mon papa maman, soignez-vous bien. Je serais bien heureuse que Rylouis plaque l’enseignement, qu’il abandonne cette situation stupide où il est. Il serait plus heureux.

Ce que maman m’a dit hier, m’a fait plaisir. D’ailleurs, tout sera bien. Car je pense que toutes les solutions auront leurs avantages. Telle que je me connais, je verrai surtout les avantages de chacune. Il fait ici un temps agréable, quoique plus frais et hier j’ai fait une promenade magnifique pour «aller chercher du bois mort», pour allumer mon feu, je ne l’allumerai d’ailleurs que quand Rylouis sera là car je profite pour le moment du chauffage de Mme Niel. Je vais avoir d’autre bois, et moins cher que la répartition par Mme Niel. C’est bien. J’ai commencé à me tricoter des moufles. J’espère que je les aurai finies quand Rylouis arrivera. Je vous aime très fort (ceci entre parenthèse).

Je vais partir. Petite salle à manger où sont réunies une dizaine de professeurs. Moi loquace ou non. Mon vin, mon pain, échanges de parles aigres-douces entre certaines de ces dames (je ne comprends pas). Plaisanteries de tables d’hôte plus ou moins intellectuelles, plutôt moins (je comprends plus ou moins lentement, plutôt plus, sauf quand c’est moi qui les fais). Mme l’Économe par ici, Mme l’Économe par là. «Justine, rapportez du potage» (à la citrouille) (Voilà une demi-page de stylo moderne) Peya commence à douter de l’équilibre mental de sa dernière fille. Il a raison, et je l’aime.

Ma mémé, mon papa, je vous aime, je suis très heureuse de tant vous aimer, heureuse d’être votre progéniture, et heureuse de danser mentalement sur la table d’hôte ou sur la tête des élèves, en pendant à toute la chance que j’ai par vous et par monsieur. Je vous embrasse de tout mon cœur des milliers de fois de toutes mes forces tous deux. Soignez-vous bien.

Guigui