Lettre

De : Madeleine Vérillotte, à Tours

À : Aristide Beslais, son mari au front

Date : 2 mai 1915

Mon cher aimé,

Encore un dimanche à passer sans toi, sans toi ! C’est un triste anniversaire : le jour de ton départ il y a neuf mois. C’était un dimanche aussi, et je suis allée à la gare le matin même de ton départ pour revoir les rues où tu étais passé. C’est loin, et il vaut mieux être à aujourd’hui. Bientôt je retournerai à la gare. J’irai sur le quai avec la Mimie sur mon bras et alors nous reverrons le papa. Mon papa, notre petit papa chéri  ! Tu verras comme tu seras heureux de voir ton beau poupon de fille. Et puis tu nous emmèneras. Nous reverrons notre cher nid d’amour. Nous reprendrons les habitudes chéries. Autour de notre petite table nous mettrons la haute chaise de la Mimie et elle nous rira en babillant. Si tu savais comme son rire est délicieux ! Sa petite bouche édentée a une jolie courbe et quand elle sourit, on s’agenouillerait devant ce petit miracle de grâce, de beauté douce.

Elle s’éveille en souriant, et quand elle s’endort, avant que les yeux ne se ferment, elle sourit faiblement, gentiment. Elle ne crie plus maintenant, et quand je pleure en pensant à toi, son sourire sèche mes larmes. Sans elle, que serais-je devenue ?

Aie tu courage, mon petit Mimi. J’ai ta lettre du 26, où tu me dis que tu veux lui donner le biberon. Sois tranquille, Mimi chéri, je saurai ménager ma santé pour toi mais, pour le moment, la Mimie souffre d’être à l’allaitement mixte, puisqu’elle n’aime pas l’autre lait. En me soignant bien, je la mènerai bien jusqu’à ce qu’elle mange. Ta lettre de ce matin 30 me semble timbrée des Islettes. Ton repos est sans doute fini.

Courage mon chéri. Aie du courage. Je t’aime, je t’adore et je t’embrasse de toute mon âme.