Lettre

De : Madeleine Vérillotte, à Tours

À : Aristide Beslais, son mari au front

Date : 5 mai 1915

Mon cher petit mimi,

Je devine bien, va, mon amour, que tout n’est pas joie dans ta pauvre vie. Mais je sais aussi que je t’aime tant qu’il me semble que tu dois sentir, à certaines heures de découragement, toutes les caresses que je couvrais te donner, que je te donne en pensée, t’en couvrir les yeux, le visage, tout toi, et te réconforter un peu. Mon tout petit, mon cher petit, aie du courage. Oh! je sais bien ce que c’est dur. Moi qui te dis cela, je n’en ai guère, à certaines heures, et pourtant j’ai notre petit amour. Mais il faut nous dire, tous les deux, que quelques mois encore de courage nous feront conserver notre santé et que nous serons payés par un grand bonheur pour tout le reste de notre vie. tu le sais, dis Mimi, qu’il n’y a que du bonheur qui nous attend avec tout notre grand amour, notre entente si parfaite, et en plus, maintenant, notre petit chérubin.

Chère petite amour ! Elle a été vaccinée ce matin. Je n’ai pas eu la force de la tenir tellement j’étais troublée à l’idée du mal qu’on allait lui faire. Quand j’ai vu les plumes à côté de son petit bras potelé, tout mon cœur s’en allait. C’est maman qui la tenait, et les larmes coulaient abondantes sur ses joues, quand la plume est rentrée. La Mimie, étonnée de son mal, nous a regardés, a fait la lippe et s’est mise à pleurer tout doucement ; ça n’a pas été de grands cris, mais bien plutôt un chagrin de courte durée et vite consolé.

Voici les événements, les gros événements qui passent le temps et font arriver le soir. De ce moment, les orages continuels se rappellent les jours où tu me rassurais, où tu me consolais de mes terreurs puériles. Maintenant, je reste près de Mimie, sa petite main dans la mienne. Lu lui parle pour qu’elle ne remarque pas l’éclair, et je ne pense plus à ma propre crainte. Là encore, la Mimie fait son œuvre.

J’ai vu ce soir un défilé superbe de voitures découvertes : dedans le vénérable père Le Goff, une splendide nourrice et des inconnus. Dans l’autre, le jeune Marcel Le Goff et sa digne épouse. En grande pompe et bombe on baptise l’héritière ! Pendant que de pauvres diables se battent, on peut bien s’amuser. On pourrait y mettre, tout de même, un peu moins d’ostentation. Mais quand on demandera un peu de propreté aux embusqués…

Allons, mi, il faudrait que je te donne du courage, et je te donne peut-être de la révolte. Mais notre religion n’est pas la résignation, dis, mimi, et notre courage ne se fonde pas sur l’injustice acceptée.

Je t’embrasse de toute ma force. Mes parents t’embrassent bien.

Madeleine