Lettre
Mon chéri,
Je reçois ce soir de tes lettres du 18 et du 20. Celle du 18 est timbrée de Sainte-Menehould. C’est là que j’aurais bien pu aller te voir. J’irais bien maintenant, mais j’ai peur de ne pas t’y trouver. Non, non, mille fois non ! je ne resterai pas six mois sans revoir ta frimousse, et, si la guerre se prolonge, la mimie et moi on ira te rendre une visite. Et je suis bien sûr que quand tu verras la mimie, tu ne nous mettras pas à la porte. Tu entends !
Nous revenons de nous promener sur la levée du Mennston avec la grosse cocotte. Nous avons toutes deux des joues peintes en rouge. Les yeux de la mimie brillent et ses lèvres sont en corail. Quel bébé adorable ! Elle n’est pas bouffie, mais elle a une petite figure bien ronde, bien fraîche. Mon pauvre petit mimi, comme je voudrais…
Tout à l’heure en voyant passer un train de soldats, j’ai eu la sensation nette qu’un jour, pas éloigné, tu viendrais toi aussi. Le train t’amènera vite. J’ai eu, en une minute, toutes les sensations que tu auras à ce moment-là, et, appuyée sur le parapet, la main dans celle de la mite, j’ai pleuré toute notre joie future.
Maman est en train de m’expliquer que, étant dans la Marne, tu vas certainement t’échapper et venir voir la Mimie. Et je me tue à lui expliquer que ce n’est pas la distance qui t’empêche de venir, mais la consigne. Elle conclut que la guerre est une affaire de sauvages. C’est une constatation qu’on peut faire tous les jours.
Mais ça n’empêche pas qu’on peut le redire, et qu’en pensant que tu ne connais pas cet amour-là, on a le cœur affreusement serré. Si tu nous aimes, Mim, nous te le rendons bien. La Mimie est encore petite, mais elle est douce, affectueuse, et tu verras que ta petite fille sera toutes caresses pour toi.
J’attends pour te refaire un paquet que tu me demandes une flanelle. Fais une liste de ce que tu veux par retour du courrier. Tu entends !
J’embrasse la Mimi pour toi. De moi, tout mon amour.
Madeleine.