Lettre

De : Madeleine Vérillotte, à Tours

À : Aristide Beslais, son mari au front

Date : 7 mai 1915

Mon loulou,

Je veille attentivement la Mimie qui, du fait de son vaccin, est un peu grimaude. Avec cela, elle est un peu enrhumée du cerveau. Ce n’est rien, mais cela prouve encore notre faiblesse à son égard. Elle a enrhumé cette nuit parce qu’elle faisait une telle vie pour être maillotée, et comme cela, à force de gesticulations, elle en est arrivée à coucher les jambes nues. Elle est d’une dissipation ! Sans nervosité excessive, du reste. Son sommeil est calme et régulier et toute la nuit elle reste tranquille. Elle aura tout à fait ton tempérament : nerveux, sans doute, mais fort, robuste.

Pour le moment, ma santé, à moi, est épatante. J’ai retrouvé toutes mes forces et on ne parle plus du tout de donner le biberon à la grosse Mimite. Du reste elle n’en voudrait pas. Elle ne veut voir que le sein. Tantôt encore, j’essayais de lui faire avaler un peu de sirop de tolu, de peut que son rhume de cerveau ne lui tombe sur la poitrine. Elle prend la première gorgée. Mais dès qu’elle a goûté, elle fait la grimace, et après cette grimace, des hurlements épouvantables. Elle est inconsolable à chaque fois que son tété a l’audace de la tromper. Mais maintenant que je me sens plus forte, grâce à ce régime de reconstituants, je ne parlerai pas de sitôt de la contrarier pour son goût. Nous lui administrerons sa première bouillie ensemble. C’est toi qui la tiendras. Tu chanteras et, comme elle ouvre le bec quand on chante, je lui enfilerai l’aliment. Comme cela je pourrai souvent faire la jeune fille et sortir seule avec toi. Nous aurons tant à rattraper !

Toujours rien de bien neuf, de bien gai. À certains moments on dit : la vie n’est plus tenable, à d’autres on a un sursaut d’énergie en faisant des rêves d’avenir, et, bon gré mal gré, le temps passe.

Toutes mes angoisses vont à roi. Aie du courage, dis ; sois bien dort jusqu’au bout. Ta maman, vois-tu, mimi, elle ne vit qu’en attendant la minute où tu tomberas dans ses bras. Je sens ta tête sur mon épaule. Oui, quand tu es parti, le matin, j’embrassais ton gros cou, et je me disais : quand le reverrai-je ? Mais non ! Je ne pourrais pas imaginer un tel supplice. La vie en a tout de même de saumâtres ! Sur mes lèvres, j’ai le goût de tes lèvres fraîches. Elles sont bonnes, tes lèvres. Oh oui, mi, je t’aime ! Reviens, dis. Aie du courage. Je ne vis qu’en attendant ton retour. Je t’embrasse mille fois.

Madeleine

P.S. : Je reçois ta lettre du 3. Oui, mon petit gars, je vais nous faire photographier. Mais je ne dois pas sortir la Mimie pendant son vaccin et pendant son petit rhume. Quand toutes ces petites choses seront finies, nous irons chez le «tographe».

Baisers